Les années maternelle: Les enfants, les maitresses.

Petite section.
Lorsqu'il rentre en petite section, Alexis a 2 ans et demi. Il est né le 14 décembre. C'est donc l'un des plus jeunes. La rentrée se passe normalement.
Très vite, cependant, on nous fait remarquer qu'Alexis est loin d'être aussi sage en classe qu'à la maison.
On nous dit à la fois que c'est un petit garçon qui est attachant, affectueux et qui comprend vite ("ouh, c'est qu'il y en a là dedans"), mais aussi un petit garçon dissipé qui écoute difficilement les ordre, obéit peut, s'agite quand les autres sont sâges, prend un livre à l'heure de chanter. L'emmener à l'école devient certaines fois pénible, car on me ressert alors ses bétises et ses désobéissances de la veille.
Les faits marquants:
-Il est envoyé en punition dans la classe d'un autre maitre, et il se sauve de la classe. La maitresse était héberluée.
-Il mord à sang une petite fille
-La maitresse (et directrice de l'école) l'emmène dans le "bureau de la directrice" où il reste un petit moment à se tortiller sur sa chaise avec la directrice qui le regarde dans les yeux.
- Alexis ne voulait pas faire la sieste. Il se levait, se faisait un peu gronder, mais l'animateur très gentil était attendri par "mais je veux te raconter une histoire" Alexis était déjà un moulin à parole.

A aucun moment à cette époque, nous ne cherchons spécialement à voir ce qu'il fait à l'école. A la fin de l'année, nous recevons son bilan de compétences qui dit qu'il sait compter jusqu'à 69.Elle nous précise qu'elle l'a arrêté parce qu"il fallait qu'elle fasse compter les autres. En fait, il compte jusqu'à 100. Sur ce même bilan de compétences est noté jusqu'à combien il savait compter lorsqu'il est rentré en maternelle, soit 39. Toutes les compétences requises sont acquises. Nous sommes contents. Que dire?

Moyenne section.
Nous déménageons de région parisienne à Bordeaux. Alexis change d'école.
Le déménagement le perturbe un peu au début, mais il s'adapte vite. Alexis est encore très désobéissant (il l'est autant à l'école que chez nous. Nous ne sommes pas surpris). Sa nouvelle maitresse le trouve un peu entêté et remuant. Elle remarque aussi très vite ses aptitudes langagières. Un jour, en début d'année alors que nous parlons avec elle, Alexis demande à emprunter un livre de la classe pour l'emmener à la maison.
-Je peux emmener "Si le caïman"?
-Comment sais-tu que c'est "si le caïman".
-Je le sais!
-On ne l'a jamais lu. Personne ne te l'a montré. Tu sais lire, Alexis?
-Non!
(vers nous) -Il sait lire? vous lui apprenez à lire?
(nous) -On ne pense pas. Il commence à savoir ses tchoupis par coeur. On sait qu'il commence à déchiffrer certaines choses qu'il aime beaucoup, parfois il demande un peu, mais non. Il ne sait pas lire.

Durant le reste de l'année, Alexis demande régulièrement à aller pendant la récréation ou quand il n'a pas envie de faire le même travail que les autres à aller dans la classe du maitre de grande section pour y lire des livres. Ca lui est accordé certaines fois par la maitresse, mais souvent il s'ennuie et fait le clown.
Son attitude dissipée en classe et à l'école nous sera souvent soulignée par les atsem; on est loin de la petite fille modèle bien sage à câline, c'est certain. Un jour (ça m'a marqué) alors que je viens le chercher à l'école, tous sont sagement assis à attendre leurs parents. Un seul saute de chaise en chaise comme un cabris dans la classe: Alexis. C'est un choc. A la maison, il est gai et joue volontiers, mais il ne fait pas le petit démon!

Cette maitresse nous avouera ne pas savoir exactement quoi faire d'Alexis. Pour nous parents, ce n'est pas encore une source d'inquiétude. Alexandra commence à se documenter sur les enfants précoces, mais pour ma part, Alexis et surtout un enfant qu'il faut un peu maitriser. J'ai l'impression que la maitresse ne sait pas trop bien ni l'occuper, ni le maitriser. Je me dis qu'il a peut-être un peu d'avance, mais que ça n'a rien de spécial: il apprend à lire, la grande affaire. Il ne doit pas être le seul.

A la maison, nous continuons de nourrir son appétit des livres, lui et moi continuons de nous intéresser à l'aviation, nous jouons ensemble avec les appareils photos. Alexis grandit avec comme trait de liaison une remise en cause permanente sans agressivité, mais usante de l'autorité des adultes. On a l'impression d'avoir un vendeur de voitures à la maison, un baratineur infatigable. Son trait de dessin s'est amélioré.

Papi aide Alexis à mieux tenir son stylo

Dans la cours, il fabrique des maisons pour les fourmis, il se dispute un peu, mais pas trop, encore, et il commence à jouer avec son copain Rayan. Il est invité à son premier anniversaire. En dehors d'anniversaires familiaux, c'est le seul. Nous commençons à nous dire que sa monomanie des avions, des fusées, des vaisseaux spatiaux le coupe un peu des autres enfants. Ah. et puis il y a cet amour immodéré pour Karaba, la sorcière du dessin animé Kirikou. Il en est fou amoureux. Elle est méchante, oui, mais à la fin, elle devient gentille, et elle est tellement belle. Elle fait un bisous à Kirikou et il grandit. Il fait des projets fous de voyages en 747 pour aller la retrouver en Afrique. Il se désespère de notre absence de budget pour faire ce voyage. Il dit "ma vie de France est terminée, je vais commencer ma vie d'Afrique", et il fait sa valise. Il nous faut être très ferme pour lui expliquer que la vie d'un petit garçon est avec ses parents.



L'été charnière.

Pendant l'été entre la moyenne et la grande section, quelque chose nous chagrine beaucoup: nous sentons un début de récession des capacités, jusqu'ici en plein essor, de lecture de l'enfant. Il nous dit "mais je suis trop jeune pour lire!"
Nous sommes abasourdis, voire révoltés. Nous percevons nettement que ce n'est pas Alexis qui pense ça, lui qui veut absolument savoir lire pour lire ses aventures de Tintin, Boubou, Tchoupi, Kirikou seul. Nous pensons que si elle ne l'a pas forcément verbalisé de cette manière, la maitresse désemparée de moyenne section a fait comprendre à Alexis qu'il était trop jeune pour lire. Nous pesons alors de toute notre influence pour lui expliquer qu'apprendre c'est formidable, et que s'il sait lire avant les autres, c'est très bien. S'il n'a pas envie de lire, nous ne sommes pas déçus, mais s'il veut apprendre nous serons tout aussi très contents.
Juste avant la rentrée, Alexis s'est remis à lire de petits morceaux. On sent qu'il met en relation sa connaissance parfaite de certains livres avec les mots qu'il lit. Il demande quelques précisions sur des phonèmes un peu complexes. Nous lui expliquons quelques règles comme les pluriels, mais en gros, il se débrouille tout seul. Il a compris le mécanisme de comptage après la centaine, et s'il ne se souvient pas de tout, il comprend comment fonctionnent les centaines et les milliers.
A la sortie de cette moyenne section, nous nous sommes posés la question de sauter la classe de grande section. En faisant valoir son immaturité, on nous conseille de le laisser sur les rails.  Ne sachant trop que faire, nous suivons le conseil. Nous ne pouvons pas dire à ce jour si c'était un mauvais choix ou le meilleur choix. Nous rencontrons les deux instits de grande section qui nous assurent qu'ils lui feront faire des choses à part et qu'il n'y a pas de problème.

Alexis passe la tête d'Igor au dessus du grillage pour lui permettre de regarder les avions.

La grande section

Dès le début de la grande section, Alexis fait de lui-même des progrès fulgurants en lecture. A la Toussaint, il lit en annonant, il hésite et son trompe encore souvent.  A noël, il sait lire. Nous sommes stupéfaits des progrès qu'il fait absolument tout seul.

Pour le reste le bilan est plus mitigé. Nous sentons la maitresse très bienveillante avec lui, mais un peu désemparée par son attitude. Alexis a peu de copains, à part Rayan. Pour son anniversaire, pourtant, il ne l'invite pas; il invite des petites filles, mais aucune ne lui rendra l'invitation. A son âge, d'autres enfants sont invités un WE sur deux et les parents ont du mal à faire des choix.

Alexis s'enfonce dans un monde peuplé de méchants et de gentils. Il est un gentil, bien sûr, et à l'école, il se bat presque tous les jours: il défend les filles. Nous sommes assez ennuyés par ces bagarres fréquentes. Elles cesseront doucement à l'approche de l'été.
En même temps, il lit, lit, lit. Il des Tom et Lea des tintins, ses Tchoupis, encore, des Boubou (le petit pygmée)
Nous prenons rendez-vous avec la psychologue scolaire, qui après l'avoir vu en entretien nous reçoit. Elle conseille de ne pas toucher à sa scolarité s'il a l'air heureux. Souvent, il a l'air dans son monde, même à côté des autres enfants, mais il a l'air heureux.
Souvent, nous sommes pris de doutes: il est tellement dans sa tête qu'on a l'impression de devoir l'en arracher pour qu'il vive à nos côtés. Dans la rue, il fait parfois des gestes étranges aux passants. Quand nous lui demandons ce qu'il lui prend, il répond qu'il s'imagine dans un vaisseau ou Dieu sait quoi. A l'école, il refuse régulièrement les activités qui lui sont proposées et préfère lire.
Une amie, mère d'une petite fille de sa classe nous le décrit: "Alexis est...  ...différent. On voit que ses préoccupations sont à mille lieux de celles des autres enfants". Nous sommes un peu blessés par le commentaire, mais nous constatons sa véracité. Pour la chorale de l'école, devant tous les parents rassemblés, Alexis chante un peu, mais fait plein de gestes liés à son paysage mental du moment. Nous sommes un peu sous le choc. Cela confirme que nous allons devoir aider Alexis à s'intégrer avec toute sa différence. Nous finissons l'année scolaire avec une réelle inquiétude et un espoir: L'an prochain, il sera dans une classe où on lit: Alexis va aller dans une nouvelle école, plus près de chez nous, et avec un peu d'espoir, il sera dans un CP/CE1. Il pourrait donc faire la classe avec les enfants dont les compétences se rapprochent le plus des siennes: les CE1 pour la lecture, le CP pour l'écriture.